Que signifie concrètement le passage de « Aa3 » à « perspective négative » ?
Imaginez que la note de crédit d’un État, c’est son « permis de bonne conduite » quand il s’agit d’emprunter. La note Aa3 de Moody’s est toujours considérée comme de la « haute qualité » (le quatrième meilleur niveau). Le fait qu’elle soit maintenue est un soulagement immédiat pour l’État, qui peut continuer d’emprunter dans de bonnes conditions. Le gouvernement s’en sort bien pour l’instant, c’est un répit, car on conserve le précieux « double A » que les deux autres agences, S&P et Fitch, nous ont retiré récemment.
Moody’s Ratings (Moody’s) a modifié aujourd’hui la perspective du gouvernement français de stable à négative. Parallèlement, nous avons confirmé à Aa3 les notes d’émetteur à long terme et les notes de crédit senior non garanti en monnaie nationale de la France.
Moody’s Ratings
Seulement, la « perspective négative » change tout sur le long terme. C’est le petit trait de plume qui indique une forte probabilité de dégradation de la note dans les 12 à 18 mois si rien ne change. Moody’s ne nous pénalise pas tout de suite, mais nous met clairement sous surveillance. L’agence pointe du doigt l’instabilité politique (« fragmentation durable du paysage politique » comme ils disent) et la difficulté du gouvernement à mettre en place des réformes et, surtout, à maîtriser le déficit public (prévu à 5,4 % du PIB en 2025). Le message est limpide : la bonne santé économique de la France est encore là (la solidité du secteur bancaire, l’économie diversifiée, etc.), mais le pays est moins bien « gouverné » financièrement, ce qui fragilise sa capacité à rembourser sa dette à l’avenir. En clair, on a encore de l’argent, mais on n’est plus très doués pour gérer les comptes.
À quoi sert véritablement cette notation et pourquoi est-elle si observée ?
La notation souveraine, c’est l’outil qui permet aux investisseurs (les banques, les fonds de pension, les assurances-vie) de juger du risque quand ils prêtent de l’argent à un État. Elle sert avant tout de boussole mondiale pour le marché. Pourquoi est-elle si observée ? Pour une raison très simple : elle influence directement le taux d’intérêt que l’État va devoir payer sur ses nouveaux emprunts. C’est ce qu’on appelle la « prime de risque ».
Si la note baisse (ou si elle menace de baisser, comme c’est le cas avec une perspective négative), c’est un signal que la dette est jugée plus risquée. Les investisseurs vont alors logiquement demander à être mieux payés pour le risque qu’ils prennent, en exigeant un taux plus élevé. Comme l’État français doit sans cesse emprunter des sommes colossales pour financer son budget (et refinancer l’énorme dette existante, estimée à 118 % du PIB en 2026 !), même une légère hausse des taux peut se traduire par des milliards d’euros de dépenses supplémentaires pour le contribuable.
Ces agences, même si elles sont parfois critiquées pour leur pouvoir (trois agences américaines, S&P, Moody’s, et Fitch, contrôlent plus de 90 % du marché), ont un impact financier gigantesque sur les finances publiques et privées.
Quel impact cette révision a-t-elle sur notre quotidien ?
De manière très directe, l’impact immédiat de ce passage à « perspective négative » est souvent limité, surtout que le marché s’attendait à pire. Les coûts d’emprunt de l’État n’ont pas explosé le 25 octobre. Mais il y a un effet domino qui, lui, finit toujours par nous atteindre.
D’abord, la dette de l’État sert de référence pour l’ensemble de l’économie. Si l’État doit emprunter plus cher, cela peut, à terme, entraîner une hausse des taux d’intérêt sur les autres emprunts, notamment ceux des banques. Et là, on est en plein dans le quotidien : votre futur crédit immobilier risque d’être plus coûteux, les crédits à la consommation aussi, et même le financement des entreprises peut devenir plus difficile. Moins de crédits ou des crédits plus chers, ça signifie un coup de frein potentiel sur l’activité économique, et donc sur l’emploi et la croissance. Ensuite, une charge de la dette qui augmente, c’est moins d’argent disponible pour le reste.
Si l’État doit payer plus pour ses intérêts, il doit couper ailleurs ou augmenter les impôts. C’est le dilemme du budget : il faudra rogner sur les marges, ce qui peut se traduire par une baisse des dépenses publiques pour les services essentiels (santé, éducation, sécurité), ou par une fiscalité plus lourde sur les ménages. On le ressent moins directement, mais chaque euro qui sert à payer la dette ne sert pas à la qualité de vie des Français.
Faut-il s’inquiéter, après la dégradation similaire par Fitch et S&P ?
Oui, il faut s’inquiéter, mais avec prudence. Ce n’est pas une crise imminente, mais bel et bien un triple avertissement très sérieux. Avec S&P et Fitch qui ont déjà retiré le « double A » à la France, la décision de Moody’s, même si elle maintient la note, aligne l’agence sur les préoccupations générales. Cela confirme une perte de crédibilité progressive de la France auprès des grandes institutions financières mondiales. Ce qui doit inquiéter, c’est que les raisons invoquées sont plus structurelles que conjoncturelles. Moody’s ne reproche pas juste une mauvaise année, mais une fragmentation politique durable qui empêche de prendre les décisions courageuses pour assainir les comptes. Le problème n’est donc pas tant dans l’économie (qui reste robuste) que dans la gouvernance du pays.
La décision de modifier les perspectives à négatives reflète le risque accru que la fragmentation du paysage politique français continue de compromettre le fonctionnement des institutions législatives françaises. Cette instabilité politique risque d’entraver la capacité du gouvernement à relever des défis politiques majeurs, tels qu’un déficit budgétaire élevé, l’alourdissement de la dette et une hausse durable des coûts d’emprunt, ce qui entraînerait un affaiblissement plus rapide que prévu des principaux indicateurs budgétaires français.
En outre, la fragmentation politique augmente le risque d’un retour en arrière durable sur des dispositions clés des réformes structurelles adoptées précédemment, en particulier la réforme des retraites de 2023. Si la suspension de cette réforme se prolonge au-delà de quelques années, elle exacerbera les difficultés budgétaires du gouvernement et aura un impact négatif sur le taux de croissance potentiel de l’économie en réduisant l’offre de travail.
Moody’s Ratings
La « perspective négative » est un coup de semonce qui laisse une petite fenêtre de tir au gouvernement : il faut absolument sécuriser un budget 2026 jugé crédible par les agences, sans quoi la dégradation de la note par Moody’s est quasiment inévitable fin 2025 ou début 2026. Perdre ce dernier « double A » enverrait un signal encore plus négatif aux marchés, ce qui compliquerait la situation de la France au moment même où l’activité économique ralentit.
L’heure n’est plus au déni, mais à l’impératif d’un « compromis budgétaire collectif » comme l’a reconnu le ministre Roland Lescure. Cette alerte est un rappel : surveillez l’évolution de vos taux d’épargne et d’emprunt, et ne soyez pas surpris si le discours officiel se durcit sur la nécessité de faire des économies dans les mois à venir.
Comprendre les notes de crédit : un guide simple pour décrypter les évaluations
Nous l’avons vu, la France a glissé d’un cran chez deux des trois grandes agences, passant notamment de « AA- » à « A+ » chez S&P, après une alerte similaire de Fitch. Plus récemment, c’est Moody’s qui a tiré la sonnette en plaçant notre dernière note « Aa3 » sous « perspective négative », signalant un risque accru de dégradation future. Ces jugements, loin d’être un simple outil d’économiste, sont un véritable baromètre de la confiance que le monde accorde à la capacité de l’État à gérer ses comptes et à honorer ses dettes. Pour vous permettre de décrypter ces évaluations sans plonger dans le jargon financier, voici un récapitulatif simple de l’échelle de notation utilisée par les grandes agences comme Standard & Poor’s (S&P), Moody’s, et Fitch.
Tableau des notations de crédit souveraines
| Catégorie / Note S&P |
Note Moody’s |
Note Fitch |
Description |
| AAA |
Aaa |
AAA |
Capacité exceptionnellement forte à honorer ses engagements ; risque de défaut minimal. |
| AA+ |
Aa1 |
AA+ |
Très forte capacité à honorer ses engagements ; risque légèrement plus élevé que AAA. |
| AA |
Aa2 |
AA |
Très forte capacité à honorer ses engagements ; vulnérabilité modérée aux conditions adverses. |
| AA- |
Aa3 |
AA- |
Très forte capacité à honorer ses engagements ; plus sensible aux chocs économiques. |
| A+ |
A1 |
A+ |
Forte capacité à honorer ses engagements ; sensible aux conditions économiques à long terme. |
| A |
A2 |
A |
Forte capacité à honorer ses engagements ; vulnérable aux fluctuations économiques. |
| A- |
A3 |
A- |
Forte capacité à honorer ses engagements ; risques accrus en cas de conditions défavorables. |
| BBB+ |
Baa1 |
BBB+ |
Capacité adéquate à honorer ses engagements ; sensible aux variations économiques à long terme. |
| BBB |
Baa2 |
BBB |
Capacité adéquate à honorer ses engagements ; vulnérable aux changements économiques. |
| BBB- |
Baa3 |
BBB- |
Capacité adéquate à honorer ses engagements ; risque accru en cas de conditions défavorables. |
| BB+ |
Ba1 |
BB+ |
Capacité à honorer ses engagements mais vulnérable à court terme (catégorie spéculative). |
| BB |
Ba2 |
BB |
Moins vulnérable que les notations inférieures ; risque notable à court terme. |
| BB- |
Ba3 |
BB- |
Capacité à honorer ses engagements mais fortement dépendante de conditions économiques favorables. |
| B+ |
B1 |
B+ |
Capacité limitée à honorer ses engagements ; risque spéculatif élevé. |
| B |
B2 |
B |
Capacité limitée à honorer ses engagements ; très vulnérable aux changements économiques. |
| B- |
B3 |
B- |
Capacité limitée à honorer ses engagements ; risque élevé de défaut. |
| CCC+ |
Caa1 |
CCC+ |
Très vulnérable ; dépend fortement de conditions économiques favorables. |
| CCC |
Caa2 |
CCC |
Risque élevé de défaut ; dépendance à des conditions économiques exceptionnelles. |
| CCC- |
Caa3 |
CCC- |
Extrêmement vulnérable à court terme ; risque de défaut imminent. |
| CC |
Ca |
CC |
Très spéculatif ; défaut très probable. |
| C |
C |
C |
En défaut ou en risque imminent de défaut. |
| D |
– |
D |
En défaut ; incapacité à honorer ses engagements financiers. |
Notes : Les lignes en jaune indiquent les notations spéculatives (haut rendement), et en rouge les notations en situation de détresse. Moody’s utilise « C » au lieu de « D » pour indiquer un défaut. Sources : échelles standard des agences de notation.
Auteur :
Thierry Chabot
Article publié le
25 octobre 2025
et mis à jour le
25 octobre 2025
Passionné par l'univers de la finance, j'accompagne les particuliers dans leurs choix et décisions pour optimiser leur budget et ainsi faire des économies.